A l'attention de ma filleule Louise ...
V. (VI.) [1] Le dixième jour de la conception sur-viennent des douleurs de tête, des vertiges, des éblouissements, des dégoûts, des soulèvements d'estomac, indices qui annoncent qu'un être humain est ébauché. Le teint est meilleur, la grossesse plus facile, quand c'est un garçon ; les mouvements s'en font sentir dans l'utérus au quarantième jour. C'est tout le contraire dans l'autre sexe : le poids est difficile à porter ; il y a un léger gonflement aux jambes et dans les aines ; et les premiers mouvements sont au quatre-vingt-dixième jour.
[2] Mais la mère éprouve le plus d'affaissement lorsque les cheveux de l'enfant poussent, quel que soit son sexe, et aussi dans la pleine lune, époque qui est d'ordinaire dangereuse pour les enfants, même après leur naissance. La marche, et à vrai dire tout, importe dans une femme grosse : ainsi, pour avoir usé d'aliments trop salés des femmes mettent au monde des enfants privés d'ongles ; et le travail de l'accouchement est plus difficile chez celles qui ne savent pas retenir leur haleine. Le baillement même est mortel dans l'accouchement ; et éternuer après le congrès annonce l'avortement.
[3] (VII.) On est saisi de pitié, on est saisi de honte quand on songe combien frêle est l'origine du plus superbe des animaux. Voyez : l'odeur d'une lampe éteinte suffit souvent pour causer l'avortement C'est ainsi que commencent les tyrans, et ces coeurs bourreaux des autres hommes. Toi qui te confies dans les forces de ton corps ; toi qui embrasses les dons de la fortune et qui te regardes moins comme son élève que comme son fils ; toi (03) dont l'esprit est toujours occupé d'idées sanguinaires, et qui, enflé par quelques succès, te crois un dieu, tu as pu périr par une si petite cause : aujourd'hui même, moins encore suffira pour te tuer, la morsure de la dent ténue d'un serpent, un grain de raisin sec, comme pour le poète Anacréon ; un seul poil dans une gorgée de lait, comme pour Fabius, sénateur et préteur, qui périt ainsi étouffé. Celui-là estimera la vie à sa juste valeur qui se souviendra toujours de la fragilité humaine.
VI. (VIII.) [1] Il est contre la nature que les enfants naissent les pieds les premiers ; ceux qui naissent ainsi ont été appelés pour cela Agrippa, mot qui signifie enfanté difficilement. C'est ainsi, dit-on, que M. Agrippa vint au monde, le seul heureux peut-être parmi tous ceux qui ont été enfantés de cette manière ; et encore il fut tourmenté par la goutte ; il eut une jeunesse pénible ; il passa sa vie au milieu des armes et des morts ; il réussit, mais pour le mal ; toute sa race fut fatale à la terre, surtout par les deux Agrippine, qui mirent au monde Caligula et Néron, fléaux l'un et l'autre du genre humain :
[2] de plus, il vécut peu, enlevé à cinquante et un ans, torturé par les adultères de sa femme (VII, 46, 1) et par le despotisme de son beau-père, circonstances qui ont fait penser qu'il avait accompli ainsi le présage de sa naissance contre nature. Agrippine, mère de Néron, a écrit que son fils, qui fut empereur, et ennemi du genre humain durant tout son règne, naquit les pieds les premiers. L'ordre naturel est que l'homme vienne au monde la tête en avant, et en sorte les pieds les premiers.
PLINE L'ANCIEN ( Histoire naturelle livre 7 )
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